Lettre au Premier ministre : Modification du décret du 30 juin 1946 concernant les demandeurs d’asile

19 février 2004

Monsieur le Premier Ministre,

Je me permets de m’adresser à vous pour vous interroger sur les modifications réglementaires envisagées par le gouvernement concernant l’accès aux procédures des demandeurs d’asile et vous faire parvenir nos recommandations concernant certains des dispositions.

Depuis quelques semaines, nous avons essayé d’avoir des précisions sur le texte du projet de décret mais sans succès. Nous avons espéré que la CNCDH serait saisie mais il ne semble pas qu’une saisine soit prévue. Selon nos informations, le projet de décret réformant celui du 30 juin 1946 qui régit notamment le séjour des demandeurs d’asile modifierait les exigences concernant l’adresse indiquée par les demandeurs. Alors qu’aujourd’hui cette adresse, demandée par les préfectures pour initier les démarches, peut être celle d’un ami, d’un avocat ou d’une association, le projet de décret prévoirait que la domiciliation associative à défaut d’une adresse réelle, serait limitée à une courte période ; selon une version du projet, il pourrait même s’agir d’une période particulièrement courte de quatre mois. Les associations souhaitant domicilier des demandeurs d’asile, devraient en outre solliciter un agrément auprès des préfectures.

Ces dispositions, si elles sont adoptées, légaliseraient a posteriori des mesures de restriction prises par les préfectures qui ont été, à plusieurs reprises, condamnées par les juridictions administratives. Elles constitueraient également une atteinte à l’exercice effectif du droit d’asile.

Si la période admise pour la domiciliation associative était plus courte que la procédure d’asile elle-même, le décret placerait des milliers de demandeurs d’asile dans une insécurité totale. En effet, pour beaucoup, il est difficile voire impossible d’indiquer une adresse réelle : ballottés d’hébergement d’urgence en asiles de nuit, tributaires de l’hospitalité de compatriotes, voire contraints d’avoir recours aux marchands de sommeil et aux squats, les demandeurs d’asile subissent les insuffisances d’un dispositif national d’accueil qui, s’il a fortement augmenté ses capacités ces dernières années , ne permet d’héberger en réalité que 7 à 12% des demandeurs d’asile . De plus une circulaire récente du ministère de l’équipement (5 décembre 2003) exclut les demandeurs d’asile des hébergements associatifs soutenus par l’Aide au Logement Temporaire.

En conséquence, de nombreux demandeurs d’asile, incapables de justifier d’une résidence réelle, pourraient se voir retirer leur document de séjour, alors que l’examen de leur demande est en cours, et seraient donc privés de l’allocation de survie versée par l’Etat.

Ces dispositions réglementaires apparaissent contraires au principe constitutionnel d’admission au séjour des demandeurs d’asile pendant la durée de l’examen de leur requête et irréalistes dans le contexte très dégradé des conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Elles semblent viser d’abord à faciliter la surveillance des demandeurs afin de procéder à leur éloignement s’ils sont déboutés. La nécessité d’un agrément des associations domiciliant les demandeurs d’asile pourrait avoir pour effet de restreindre les possibilités locales de domiciliation et de dissuader les demandes.

Alors que la directive européenne du 26 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l’accueil exige qu’un document ou « certificat » soit délivré aux demandeurs dans un délai de trois jours « après le dépôt de leur demande auprès des autorités compétentes » , il serait prévu dans une version du projet de décret que les préfectures auraient un délai de quinze jours pour enregistrer les demandes d’asile et procéder à l’admission au séjour des demandeurs d’asile ou au refus de cette admission. Devant l’inadaptation des conditions d’accueil des préfectures, qui conduit à des pratiques diverses (numerus clausus, délais dilatoires, renvoi vers un autre département), on peut même s’interroger sur le respect de ce délai par les préfectures au vu de l’expérience présente.

L’accès aux procédures est devenu une question fondamentale du droit d’asile. Avec la multiplication des procédures de transfert vers un autre Etat européen facilitée par le règlement Eurodac, l’utilisation plus importante de procédures prioritaires notamment en rétention et les délais très brefs d’instruction de la demande d’asile par l’OFPRA, la CFDA s’inquiète vivement de la détérioration des conditions d’accès à ce droit fondamental et demande que de nouveaux obstacles ne soient pas instaurés par le décret en préparation.

La CFDA demande que de telles dispositions restrictives ne soient pas introduites dans le décret et rappellent les recommandations qu’elles a soumises dès mars 2001 concernant l’accès à la procédure :

en ce qui concerne la domiciliation

  • Pour assurer l’égalité des demandeurs, il est nécessaire que les services de l’Etat et des collectivités territoriales contribuent à cette tâche en particulier les centres communaux d’action sociale, les espaces solidarité insertion en application de la loi contre l’exclusion. Pour assurer la solidarité nationale, il est nécessaire de prévoir un dispositif de domiciliation suffisant dans chaque département ; les associations pouvant dès lors s’y insérer à titre complémentaire.
  • La CFDA estime que les dispositions réglementaires actuelles doivent être maintenues : il n’existe pas d’agrément prévu par la législation relatif à la domiciliation pour l’admission au séjour au titre de l’asile (articles 14 et 15 du décret actuel) ou le renouvellement des récépissés pendant la procédure (articles 16 et 17 du décret). De plus, la CFDA recommande qu’une simple adresse postale puisse être fournie pour la délivrance du récépissé prévu à l’article 18 pour les personnes reconnues réfugiées récemment.

en ce qui concerne les délais d’attente

  • la CFDA demande que l’admission au séjour des demandeurs d’asile soit effectuée dès la première présentation en préfecture. Des moyens supplémentaires en personnel d’accueil mais également en locaux sont nécessaires sur l’ensemble des préfectures afin d’assurer l’égalité des demandeurs d’asile quels que soient le département, leur nationalité, leur situation sociale et familiale.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Pour le secrétariat de la CFDA
Gérard SADIK
Cimade