Conditions minimales pour que l’asile soit un droit réel (février 2018)

En octobre 2001 puis en mai 2007, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) a rendu publiques « dix conditions minimales pour un réel droit d’asile ». Dans la dernière décennie, le droit d’asile en Europe et en France a été profondément remanié, tant au niveau des procédures que des conditions d’accueil. Les initiatives prises visent essentiellement à dissuader l’arrivée pour diminuer le nombre de demandes d’asile présentées.

En 2012, le délabrement et la désorganisation profonde du dispositif d’accueil des personnes en demande d’asile en France étaient manifestes. Aussi les organisations impliquées activement auprès des demandeurs et demandeuses d’asile et rassemblées au sein de la CFDA ont réalisé un état des lieux complet de ce dispositif pour alerter les responsables politiques et leur demander d’engager sans tarder les réformes nécessaires.

Réaffirmant, d’une part, leur attachement au droit d’asile comme droit fondamental et constitutionnel et, d’autre part, le caractère récognitif du statut de réfugié prévu par la convention de Genève, la CFDA, insistant en outre sur le rôle spécifique de ses organisations membres dans l’accueil des personnes en demande d’asile, présente des recommandations réactualisées de réforme pour que l’asile reste un droit réel. La protection des personnes menacées ou persécutées, mineures ou majeures, en métropole ou en outre-mer, doit être la priorité de toute politique d’asile.

Depuis la réforme de juillet 2015, les organisations constatent que le système est toujours glo- balement défaillant et très complexe. De nombreux dysfonctionnements subsistent, notamment en termes de délai d’enregistrement de la demande d’asile, de proposition d’hébergement, de versement de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), de prise en compte des besoins spécifiques de certaines personnes, etc.

De plus, à la procédure normale viennent s’ajouter une multitude d’autres procédures (accélérée, irrecevabilité, clôture, placement en procédure « Dublin ») qui permettent ainsi de catégoriser les personnes en demande d’asile et de ne pas leur conférer des droits et des conditions d’accueil identiques. On note également un acharnement des autorités concernant les personnes placées en procédure « Dublin », qui représentent aujourd’hui un tiers des demandeurs et demandeuses d’asile. En effet, les mesures de contrôle et de répression se multiplient : assignation à résidence, arrestation, enfermement, placement en fuite et multiplication des transferts vers les États désignés comme responsables de l’examen de la demande d’asile par le règlement « Dublin », etc. La perspective de l’adoption d’un nouveau règlement, dit Dublin IV, va fragiliser encore davantage les personnes placées sous procédure « Dublin ».

Plus que jamais, il apparaît que l’Union européenne souhaite restreindre à tout prix le nombre de personnes en demande d’asile atteignant son territoire, quitte à ce que ces personnes soient astreintes à vivre dans un pays qu’elles n’ont pas choisi librement ou à ce qu’elles perdent la vie.

Garantir aux demandeurs et demandeuses d’asile la possibilité de voir leur demande examinée dans le pays de l’Union européenne de leur choix

Condition n° 1 : le principe de non-refoulement garanti par l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 doit être respecté pour toute personne en quête de protection

Le principe de non-refoulement impose d’accueillir les personnes étrangères se présentant à la frontière avec un examen individuel, raisonnable et objectif de leur potentielle demande d’asile. Ces personnes en quête de protection doivent pouvoir circuler librement dans le plein respect des droits humains et du droit d’asile.

Condition n° 2 : permettre aux personnes d’accéder de manière sûre au territoire européen aux fins de demande d’asile

Toute personne doit pouvoir accéder au territoire européen pour demander l’asile, par voie terrestre ou maritime, sans risquer sa vie. Des moyens et les voies légales le permettant doivent être développés. Les programmes de réinstallation ne doivent pas servir de prétexte pour refuser le dépôt d’une demande d’asile sur le territoire de l’Union. L’externalisation de la procédure d’asile est à exclure dans la mesure où les garanties en matière de respect des droits de l’Homme sont insuffisantes dans les pays de transit ou dans les zones proches des pays de départ (Turquie, Libye, Niger, Tchad). La notion de « pays tiers sûr » ne doit pas être introduite dans la législation française et doit disparaître de la législation européenne. Cette notion est instrumentalisée par les États membres pour justifier les pratiques de refoulement des demandeurs et demandeuses d’asile vers des pays ne respectant pas le droit d’asile et l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants.

Condition n° 3 : le libre choix du pays d’asile par la personne demandant l’asile

Le système de responsabilité d’un État membre de l’Union européenne pour l’examen d’une demande d’asile qui découle du règlement « Dublin » doit être profondément revu : le principe doit être que la demande est examinée dans le pays du choix de la personne. Sans déroger à ce principe, la solidarité entre États membres devrait être renforcée et véritablement effective afin d’assurer l’équité des procédures, un haut niveau de protection et des conditions d’accueil dignes. Tant que ces conditions ne sont pas réunies, les transferts doivent être suspendus et la clause de souveraineté appliquée à toutes les personnes susceptibles de se voir placées en procédure « Dublin ». La première proposition de la Commission européenne en vue de l’adoption d’un nouveau règlement dit Dublin IV va dans le sens inverse de ces recommandations et laisse présager la mise en place d’un système encore plus défavorable pour les personnes en procédure « Dublin ».

Garantir les conditions pour un examen de qualité des demandes de protection

Condition n° 4 : une application pleine et entière de la convention de Genève du 28 juillet 1951

La France et l’Union européenne doivent adopter une interprétation pleine et entière de la définition de la personne réfugiée par la convention de Genève. La protection subsidiaire ne peut s’appliquer qu’aux demandes ne relevant pas du champ de cette convention et ne doit pas se substituer à la protection qu’offre cette dernière.

Condition n° 5 : une procédure « nécessitant des garanties effectives et un traitement adapté »

Dès qu’une personne demandant l’asile se présente à l’autorité compétente, sa demande d’asile doit être enregistrée sans délai. Elle doit alors recevoir une information relative à ses droits et obligations dans une langue qu’elle comprend, ainsi qu’un document de séjour valable durant toute la durée de la procédure, en limitant les démarches liées à son renouvellement. Toute personne en demande d’asile doit pouvoir voir sa demande de protection examinée avec attention et de manière approfondie. Elle doit être entendue et assistée d’un conseil et d’un interprète à chaque étape de la procédure d’asile. Elle doit, en ce sens, pouvoir bénéficier d’une assistance juridique financée par l’État pour l’accompagner dans l’instruction de sa demande d’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). De plus, elle doit avoir un accès systématique à tous les éléments de procédure (comptes rendus, observations, sources des informations utilisées pour l’instruction) et doit pouvoir bénéficier d’une défense effective. La procédure de demande d’asile doit être équitable quelle que soit la situation géographique, économique ou sociale de la personne. À ce titre, l’usage de la visio-conférence par l’Ofpra et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) doit prendre fin. La notion de pays d’origine « sûr » et le recours aux procédures accélérées doivent également être supprimés. L’État doit prendre en charge les frais de procédure que sont, par exemple, la traduction de documents, la présence de conseils ou encore les transports.

Condition n° 6 : un recours effectif et suspensif pour toutes les demandes d’asile

La personne demandant l’asile doit pouvoir bénéficier d’un recours suspensif à la CNDA, quelle que soit la nature de la décision de l’Ofpra, afin de garantir son droit à un recours effectif. Elle doit pouvoir disposer d’un délai d’au moins 1 mois pour former son recours. Il est également nécessaire qu’un délai suffisant lui soit donné afin qu’elle puisse préparer son audience, à laquelle elle doit pouvoir être présente.

Condition n° 7 : la prise en compte des risques encourus par les déboutées du droit d’asile en cas de retour dans leur pays

Certaines personnes déboutées de l’asile se retrouvent dans une situation inextricable : elles craignent avec raison pour leur intégrité physique ou morale en cas de retour dans leur pays et l’administration française souhaite les éloigner du territoire par la force. Leurs demandes d’asile doivent être réexaminées ou leurs situations régularisées, notamment au regard du respect de leurs droits fondamentaux. Elles doivent pouvoir bénéficier du droit à l’hébergement d’urgence qui doit garder un caractère inconditionnel.

Garantir les droits des demandeurs et demandeuses d’asile et des personnes bénéficiaires d’une protection

Condition n° 8 : un accès immédiat aux soins, à la langue, au marché du travail et à la formation

L’autonomie des personnes doit être garantie et favorisée tout au long de la procédure de demande d’asile. Les politiques publiques actuelles qui ne permettent l’accès aux droits favorisant l’autonomie des personnes qu’une fois la protection obtenue doivent être révisées. Ainsi, l’accès à l’apprentissage de la langue française doit être immédiat et assuré par des professionnelles qualifiées dans le cadre d’un dispositif public financé. Le droit au travail, sans opposabilité de la situation de l’emploi, comme l’accès aux études et à la formation professionnelle doivent être effectivement ouverts aux personnes en cours de procédure. La scolarisation des enfants doit également être assurée. Enfin, au regard des motifs de départ et des parcours traumatiques pour de nombreuses personnes sollicitant une protection, l’accès à la prévention (y compris un bilan de santé librement consenti) et aux soins, notamment en matière de santé mentale, doit être effectif, avec le développement de solutions d’interprétariat médical. La globalité et la continuité des soins doivent être assurées.

Condition n° 9 : des conditions de vie dignes dans le respect du choix des demandeurs et demandeuses d’asile

En métropole comme dans les départements et les territoires d’outre-mer, toutes les personnes demandant l’asile doivent bénéficier des conditions matérielles d’accueil dès la présentation de leur demande et pendant toute la procédure (allocation pour demandeur d’asile – ADA –, centres d’accueil des demandeurs d’asile – Cada – et couverture maladie). Un accompagnement administratif, social et juridique de qualité doit être proposé. La personne demandant l’asile doit pouvoir choisir librement son mode de prise en charge et son lieu d’installation sur le territoire sans que cela ait d’impact sur l’allocation qu’elle peut recevoir. Des conditions d’hébergement et d’accompagnement dignes sont nécessaires au bon examen de la demande d’asile et à l’insertion des personnes qui seront protégées. L’allocation pour demandeur d’asile doit être revalorisée afin de permettre de vivre dignement.

Condition n° 10 : les conditions d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile ne doivent pas porter atteinte à la liberté des personnes

Le droit à l’hébergement et à l’accompagnement social ne peut se confondre avec les mesures coercitives et privatives de liberté. Les dispositifs d’hébergement ne peuvent donc en aucun cas préparer et faciliter l’expulsion des personnes étrangères. À ce titre, les dispositifs dédiés de préparation au retour, les centres d’hébergement où peuvent être interpellées et assignées à résidence les personnes exilées sont, par les volets coercitifs et privatifs de liberté qu’ils comportent, en contradiction avec les actions relevant de l’action sociale auprès des personnes en besoin de protection.

Condition n° 11 : le renforcement des droits des personnes protégées

L’insertion des personnes protégées par l’Ofpra ou la CNDA doit être soutenue par des mesures adaptées pour l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels notamment l’évaluation en vue de la reconnaissance des diplômes et de l’acquis professionnel dans le pays d’origine. L’accès à l’emploi et au logement doit être facilité. Les documents d’état civil et la carte de séjour doivent être remis rapidement à la personne protégée. La logique de protection doit primer sur toute suspicion en matière de réunification familiale. Cette procédure doit être simplifiée et transparente. Il est nécessaire de garantir la liberté d’installation des personnes protégées dans l’ensemble des États membres de l’Union. La demande de visas pour les familles bénéficiaires d’une protection doit être instruite rapidement.

Condition n° 12 : une prise en charge effective des mineures non accompagnées

Parce qu’ils et elles sont placées dans une situation de grande vulnérabilité, les mineures non accompagnées nécessitent la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial. Avant toute évaluation, leur mise à l’abri doit être assurée et leurs besoins fondamentaux satisfaits. Pour apprécier l’âge et, donc, la minorité de l’enfant, le principe déclaratif doit prévaloir sur toute autre considération au nom du respect de la présomption de minorité. Quand l’enfant est en possession d’un acte de naissance ou d’une pièce d’identité, ces éléments doivent être la référence pour déterminer cette minorité, notamment en excluant les tests osseux. Dans tous les cas, le doute doit lui bénéficier. Toute mineure doit être mise en capacité de faire valoir ses droits, notamment celui de demander l’asile, devant des juges, et de bénéficier d’un administrateur ou d’une administratrice ad hoc. Toute mineure doit avoir accès à la scolarité.

Garantir le droit à l’assistance, le droit de participer à la société et favoriser les actions de solidarité

Condition n° 13 : pouvoir recevoir de l’aide quelle que soit sa situation administrative

Toute personne exilée doit pouvoir recevoir l’assistance apportée volontairement par les citoyennes et les associations, qu’elle prenne la forme d’un soutien juridique, matériel ou moral.

Condition n° 14 : assurer le droit des personnes exilées à participer à la société

Le dispositif d’accueil des personnes en demande d’asile et des réfugiées doit favoriser leur participation à la vie locale et à la société dans son ensemble. Il doit favoriser la création de liens sociaux, culturels, sportifs, etc. Le parcours des demandeurs et demandeuses d’asile en France, ponctué de ruptures et marqué par l’isolement géographique de certains lieux d’accueil, doit être repensé sous cet angle.

Condition n° 15 : favoriser l’émergence d’une société accueillante et solidaire des personnes exilées

Les actions de solidarité en faveur des personnes exilées doivent être soutenues et encouragées. À ce titre, les différentes méthodes d’intimidation à l’encontre des soutiens aux personnes exilées, depuis les interdictions imposées aux citoyennes souhaitant subvenir aux besoins essentiels des personnes migrantes jusqu’aux condamnations de personnes solidaires au prétexte de différents délits, doivent cesser. Les mobilisations de la société civile ne sauraient être instrumentalisées