Conditions minimales pour que l’asile soit un droit réel (janvier 2013)

En octobre 2001 puis en mai 2007, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) a rendu publiques « dix conditions minimales pour un réel droit d’asile ». Dans la dernière décennie, le droit d’asile en Europe et en France a été profondément remanié, tant au niveau des procédures que des conditions d’accueil. Les initiatives prises visent essentiellement à dissuader l’arrivée pour diminuer le nombre de demandes d’asile présentées.

En 2012, le délabrement et la désorganisation profonde du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en France sont manifestes. Aussi, les organisations, impliquées activement auprès des demandeurs d’asile et rassemblées au sein de la CFDA ont-elles décidé de réaliser un état des lieux complet de ce dispositif pour alerter les responsables politiques et leur demander d’engager sans tarder les réformes nécessaires. Réaffirmant, d’une part, leur attachement au droit d’asile comme droit fondamental et constitutionnel et, d’autre part, le caractère récognitif du statut de réfugié prévu par la Convention de Genève du 28 Juillet 1951, la CFDA, insistant également sur le rôle spécifique de ses associations membres dans l’accueil des demandeurs d’asile, présente des recommandations réactualisées de réforme pour que l’asile reste un droit réel.

La protection des personnes menacées ou persécutées, mineures ou majeures, en métropole ou en outre-mer, doit être la priorité de toute politique d’asile.

GARANTIR AUX DEMANDEURS D’ASILE LA POSSIBILITÉ DE VOIR LEUR DEMANDE EXAMINÉE DANS LE PAYS DE L ’UNION EUROPÉENNE DE LEUR CHOIX

1. Le principe de non-refoulement garanti par l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 doit être respecté pour toute personne en quête de protection

La gestion des frontières extérieures de l’Union européenne doit s’effectuer dans le plein respect des droits humains et du droit d’asile. Les demandeurs d’asile doivent être exclus explicitement de la mise en œuvre des accords de réadmission avec les pays d’origine.

2. Les États membres de l’Union européenne ne peuvent se dédouaner de leurs engagements internationaux en externalisant l’examen des demandes d’asile

Les programmes de réinstallation et les mesures prétendant améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés dans un pays tiers ne doivent pas faire obstacle au dépôt d’une demande d’asile sur le territoire de l’Union ; les garanties en matière de respect des droits de l’homme sont en effet souvent insuffisantes dans les pays de transit ou dans les zones proches des pays de départ.

La notion de « pays tiers sûr » ne doit pas être introduite dans la législation française.

3. Le libre choix du pays d’asile par le demandeur

Le système de responsabilité d’un État membre de l’Union européenne pour l’examen d’une demande d’asile qui découle du règlement « Dublin » doit être profondément revu : le principe doit être que la demande est examinée dans le pays du choix du demandeur. Par ailleurs, le mécanisme de solidarité devrait être renforcé et véritablement effectif pour venir en aide aux États membres en fonction du nombre de demandeurs d’asile accueillis.

GARANTIR LES CONDITIONS POUR UN EXAMEN DE QUALITÉ DES DEMANDES DE PROTECTION

4. Une application pleine et entière de la Convention de Genève de 1951

La France et l’Union européenne doivent adopter une interprétation pleine et entière de la définition du réfugié de la Convention de Genève, notamment en ce qui concerne les violences faites aux femmes, l’orientation sexuelle, les victimes de la traite des êtres humains et, plus généralement, l’appartenance à un groupe social. La protection subsidiaire ne peut s’appliquer qu’aux demandes ne relevant pas du champ de la Convention de Genève et ne doit pas se substituer à sa protection.

5. La fin de la régionalisation de l’accueil

Les demandeurs d’asile doivent pouvoir déposer leur demande dans la préfecture de leur choix. Afin de répondre à la désorganisation constatée et à l’engorgement des préfectures de région, mais également dans le but de réduire délais et déplacements, il doit être mis un terme à la régionalisation pour rendre à chaque préfecture la responsabilité et la compétence en matière d’accueil et d’admission au séjour.

6. Une procédure d’asile unique

Tous les demandeurs d’asile doivent être admis à pénétrer et à séjourner sur le territoire et à déposer à tout moment leur demande. La procédure « prioritaire », en ce qu’elle permet au préfet de refuser le séjour, doit être supprimée. La notion de pays d’origine « sûr » doit être supprimée de la législation européenne et française.

Aucun demandeur d’asile ne doit être privé de liberté du seul fait qu’il dépose une demande.

7. Des garanties fortes pour les demandeurs

Tous les demandeurs d’asile doivent recevoir immédiatement une information relative à leurs droits et obligations ainsi qu’un document de séjour valable durant toute la procédure leur permettant de bénéficier sans délai des conditions matérielles d’accueil.

A chaque étape de la procédure d’asile, le demandeur doit être entendu et assisté d’un conseil et d’un interprète, que ce soit à la frontière ou sur le territoire ; il doit avoir un accès systématique à tous les éléments de procédure (comptes-rendus, observations, sources des informations utilisées pour l’instruction…) et bénéficier d’une défense effective.

Les considérations de genre et de vulnérabilité doivent être prises en compte par les organes de détermination.

Les frais de procédure doivent être pris en charge par l’État (traduction de documents, frais de transport, aide juridictionnelle revalorisée).

Des moyens doivent être dégagés afin que les demandeurs puissent obtenir une réponse à leur demande dans un délai raisonnable.

8. Une réelle indépendance des organes de détermination

Les organes de détermination doivent pouvoir remplir leur mission en toute indépendance.

S’agissant de l’OFPRA, un changement de tutelle et une réforme de son statut ainsi que de la composition de son conseil d’administration sont nécessaires afin de garantir son indépendance à l’égard du pouvoir politique.

9. Le rôle renforcé de protection de l’OFPRA

L’OFPRA doit disposer de moyens suffisants pour mener à bien sa mission de protection, quels que soient la demande (première demande ou réexamen) et son degré de complexité.

Les éléments de la demande d’asile sont recueillis pendant un entretien systématique.

10. Un recours effectif et suspensif pour toutes les demandes

Tout demandeur d’asile doit bénéficier d’un recours suspensif de plein droit et d’une audience devant un juge à toutes les étapes de sa demande d’asile en cas de décision défavorable.

11. La prise en compte des risques encourus par les déboutés du droit d’asile en cas de retour dans leur pays

Certains demandeurs déboutés de l’asile se retrouvent dans une situation inextricable : ils craignent avec raison pour leur intégrité physique ou morale en cas de retour dans leur pays et l’administration française ne veut ou ne peut les éloigner du territoire. Elle a donc l’obligation de les protéger en leur accordant un statut légal. Leurs demandes doivent être réexaminées ou leurs situations régularisées, notamment au regard du respect de leurs droits fondamentaux.

GARANTIR LES DROITS DES DEMANDEURS D’ASILE ET DES PERSONNES BÉNÉFICIAIRES D’UNE PROTECTION

12. Des conditions de vie dignes dans le respect du choix des demandeurs d’asile

Tous les demandeurs d’asile doivent bénéficier des conditions d’accueil dès l’enregistrement de leur demande d’asile en préfecture et pendant toute la procédure (Allocation temporaire d’attente - ATA -, centres d’accueil des demandeurs d’asile – CADA - et couverture maladie).

Le demandeur d’asile doit pouvoir choisir le mode d’hébergement qui lui convient, sans conséquence sur le bénéfice des autres conditions d’accueil. Les CADA ne sauraient être des lieux obligatoires de résidence.

Il est nécessaire de revaloriser l’allocation temporaire d’attente pour permettre aux personnes de vivre dignement. Elle devrait être au moins équivalente au minimum social national avec prise en compte de la composition familiale et du mode d’hébergement. Il est également impératif de créer des places de CADA en nombre suffisant pour couvrir les besoins, y compris en outre-mer.

Les plateformes d’accueil retrouvent leur mission initiale d’accompagnement social et d’aide à l’exercice du droit des demandeurs d’asile qui ne sont pas accueillis dans des centres, en lien avec les associations dont le travail doit être reconnu.

13. Un accès au marché du travail et à la formation facilité

L’autonomie des personnes doit être garantie pendant la procédure : le droit au travail doit être réel sans opposabilité de la situation de l’emploi. Le demandeur d’asile doit avoir accès à l’enseignement, à la formation professionnelle et l’apprentissage de la langue doit être immédiat.

14. Le renforcement des droits des personnes protégées

Les bénéficiaires de la protection subsidiaire doivent pouvoir jouir des mêmes droits que les réfugiés, en particulier en matière d’accès aux prestations sociales ou de rapprochement de famille.

L’insertion des réfugiés statutaires et des bénéficiaires de la protection subsidiaire doit être soutenue par des mesures adaptées pour le logement et l’emploi (reconnaissance des diplômes et de l’acquis professionnel dans le pays d’origine).La procédure de rapprochement familial doit être simplifiée et transparente. La demande de visas des familles bénéficiaires d’une protection est instruite dans des délais dont la rapidité préserve l’intégrité et la sécurité de la famille.

15. Une prise en charge effective des mineurs isolés étrangers

Parce qu’ils sont placés dans une situation de grande vulnérabilité, les mineurs isolés nécessitent la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit.

Pour apprécier l’âge et, donc, la minorité de l’enfant, le principe déclaratif doit prévaloir sur toute autre considération

Tout mineur doit être mis en capacité de faire valoir ses droits, notamment celui de demander l’asile, devant des juges.


Les organisations suivantes, membres de la Coordination française pour le droit d’asile, soutiennent ces recommandations :

ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Amnesty International France, APSR (Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France), Ardhis (Association pour la Reconnaissance des Droits des personnes Homosexuelles et transsexuelles à l’Immigration et au Séjour), Casp (Centre d’action sociale protestant), Centre Primo Levi (soins et soutien aux personnes victimes de la torture et de la violence politique), La Cimade (Service œcuménique d’entraide), Comede (Comité médical pour les exilés), Dom’Asile, Elena (Réseau d’avocats pour le droit d’asile), Fasti (Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s), Gas (Groupe accueil solidarité), Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), JRS-France (Jesuit Refugee Service), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Médecins du Monde, Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Secours Catholique (Caritas France), SNPM (Service National de la Pastorale des Migrants).

La représentation du Haut Commissariat pour les Réfugiés en France et la Croix Rouge Française sont observateurs des travaux de la CFDA.